Hari
Michaelson est un acteur célèbre. Mais un acteur d’un genre
très particulier. Lorsqu’il incarne Caine, un assassin sans pitié,
il ne fait pas que jouer un rôle, il est véritablement projeté
sur Autremonde, un univers parallèle à la Terre où
règne la magie, mais qui n’en est pas moins réel.
Sur une Terre où la population est désormais soumise
à un complexe système de castes qui n’autorise pas la moindre
liberté aux classes inférieures, Autremonde n’est qu’un divertissement
pour les masses, un monde de substitution bien plus passionnant que la
morne réalité, un loisir extrêmement populaire régenté
par le tout-puissant Studio qui gère les droits de diffusion des
aventures vécues par les acteurs. Lorsque Shanna, la femme
de Hari elle aussi actrice, est mise en danger sur Autremonde à
cause des magouilles d’un administrateur du studio, celui-ci est obligé
de faire face aux problèmes de deux mondes qui sont bien plus liés
qu’il ne le croyait.
Si les Héros meurent aussi est avant tout un roman d’action
avec de nombreux rebondissements spectaculaires et d’impressionnants combats,
c’est aussi mine de rien une l’occasion d’une réflexion sur le divertissement
en tant que moyen d’oppression sociale. Les terriens ne vivent que par
procuration à travers les yeux de leurs héros et accordent
plus d’importance à cet autre univers qu’au leur. Le personnage
principal est contraint d’affronter une double réalité. Alors
qu’il croyait échapper à sa condition et être totalement
libre lorsqu’il se trouvait sur Autremonde, Hari se rend bientôt
compte qu’il n’est qu’un rouage, un jouet pour le Studio. Il s’aperçoit
qu’à force d’incarner Caine, il a fini par devenir celui-ci au détriment
de lui-même. Il a fini par confondre la réalité et
la fiction, et ce d’autant plus facilement que la fiction n’est qu’une
réalité différente. Afin de retrouver et de reconquérir
sa femme, il va être obligé de redéfinir ses propres
règles en usant de son intelligence plutôt que de ses muscles.
Il va ainsi se défaire peu à peu du conditionnement du Studio.
Cet aspect du roman le rend d’autant plus passionnant, car le lecteur est
amené à considérer l’intrigue d’un point de vue plus
distancié, plus ironique. Ainsi, quand l’acteur Caine s’adresse
au spectateur de ses aventures qui se repaît de la violence de ses
actions, c’est aussi au lecteur qu’il interpelle et qu’il implique dans
son aventure, l’amenant à reconsidérer la nature du plaisir
qu’il prend par procuration. En opposition à la médiocrité
des terriens, Autremonde est un univers bien plus fascinant avec des personnages
hauts en couleur. Pourtant, c’est sur la morne Terre que se situent les
véritables enjeux de l’intrigue.
Les Héros meurent aussi est un roman particulièrement
prenant, un roman très riche, bourré d’action mais qui porte
en lui la source d’une réflexion qui le sort du lot des simples
romans d’aventures pour en faire une véritable réussite.
Les éditions de l’Atalante font décidément un travail
exceptionnel en publiant des romans passionnants d’auteurs injustement
méconnus en France. Avec cet épais roman qui mêle science-fiction
et fantasy, Matthew Woodring Stover vient donc s’ajouter à
la longue liste des auteurs de talent publiés par cet éditeur. |