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Science-Fiction
"L'oeil était dans la tombe...", nouvelle | Un article sur Philip K. Dick

Une interview inédite de Paul Borrelli 

Trajectoires terminales
Paul Borrelli est l'auteur de trois romans parus aux éditions L'Atalante mélangeant le polar noir et la science-fiction.
    • L'ombre du chat (octobre 1994)
    • Désordres (mars 1997)
    • Trajectoires terminales (février 1999).


 

Je préfère présenter mes romans : c’est une trilogie, ça se passe à Marseille dans les années 2030, une gigantesque conurbation polluée, envahie de smog, rongée de pluies acides, après un conflit généralisé dont on ne sait pas grand-chose, sauf que la plupart des espèces animales n’y ont pas survécu. Dans ce monde chaotique, les barjos en tous genres se croisent. Certains sont plus dangereux que d’autres…. Enfin, si tu insistes, je peux dire quelques mots de moi, mais peu importe mon passé, mon état-civil, mes moyens d’existence, ce type de renseignements. Bon, je peux dire en passant que j’ai fait des études de psychologie, que j’ai réalisé des maquettes de vaisseaux spatiaux, que j’ai joué pendant quelques années dans un groupe qui n’est jamais monté sur scène, que… Je parlerai plutôt de ma personnalité, je pense que c’est ce genre de choses qui intriguent les lecteurs. En deux mots, je suis un anxieux et un perfectionniste. J’ai beaucoup d’imagination et j’ai le sens du petit détail. Ce qui importe pour moi, ce sont les relations entre les personnages, le côté psychologique. Mais ce n’est pas pour autant qu’on ne trouve pas d’action dans mes romans. Je crois qu’il est important de savoir tout doser.
 
 

Il est difficile de dire qu’on aime tel ou tel auteur, parce qu’en général, il y a toujours, même chez les plus grands, une part qu’on adore et une autre qu’on n’a même pas réussi à lire… Le fait est que j’aime beaucoup certains romans de Serge Brussolo, surtout ceux publiés en Présence du Futur. Idem pour Ballard. Mais mon préféré est Philip K. Dick, incontestablement. Et surtout son inestimable chef-d’œuvre « Substance Mort », qui est pour moi le roman que plus bouleversant que j’aie jamais lu. Mais à mon sens, la distinction entre les genres n’est pas si importante. Ce que j’aime chez les auteurs que je viens de citer, c’est leur capacité à nous toucher au plus profond, nous émouvoir, nous faire pénétrer dans leur monde intérieur. Et ça, on l’apprécie chez un auteur quel que soit le genre littéraire où il s’exerce. Je veux dire par là que j’ai autant de plaisir à lire « Confessions d’un barjo » que « Simulacres »… Peu importe l’étiquette, ce que je cherche à retrouver, c’est le ton particulier de Dick. Tiens, si on prend K.W. Jeter, que j’aime beaucoup lui aussi, il y a de quoi hésiter, par moments : est-on dans le roman noir ou la SF ? Sans doute les deux à la fois. Mais l’important n’est pas l’appartenance à telle ou telle famille, on l’a bien vu avec Brussolo, qui n’a jamais cessé de naviguer entre les genres. L’important, c’est la façon personnelle qu’on a de s’approprier l’acte d’écrire, ce qui ne peut pas être sans implication sur le rapport au lecteur.
 
 

Ce que je chercher à faire vis-à-vis du lecteur, c’est créer un rapport de grande intimité, par le partage des fantasmes. Je veux établir un climat de troublante confession, comme une conversation entre deux complices, des compères de longue date. Mes romans ont une fonction cathartique, purgative, j’expulse en eux mes angoisses, mes fantasmes négatifs, et je sais qu’ils vont faire écho chez le lecteur, entrer avec lui en état de résonance. Parce que je parle d’émotions universelles, je m’attache à la base de l’individu, sa partie émotionnelle, c’est pour moi le fil conducteur de tout ce que je raconte. J’agis comme si je voulais établir une connivence avec mon lecteur en réussissant à évoquer devant lui des petites choses presque impalpables, que nous avons tous ressenties, à travers des signes ténus : une hésitation, un geste à peine ébauché, une phrase qu’on ne termine pas… Autant de signes pour montrer qu’une personne en hait une autre sans le lui dire franchement, ou au contraire la désire en secret, ou encore pour faire comprendre que quelqu’un ment et comment son interlocuteur vient de le réaliser… C’est très axé psycho, en fait. Je suis aux antipodes de ces romans basés avant tout sur le spectaculaire. Il y a certes du spectaculaire dans ce que je fais, mais je ne veux pas me servir de l’action comme un cache-misère à idées. Je veux que l’action se situe dans le prolongement des idées, au contraire.
 
 

On m’a souvent dit que mes romans se prêteraient bien à une adaptation. C’est parce que je suis très visuel. Quand j’écris, j’ai besoin avant tout de visualiser les scènes, sinon je ne peux rien faire. J’ai d’ailleurs en ce moment un projet de court métrage, rien ne dit que ça se fera mais je m’amuse beaucoup à écrire mon scénario, ça me change un peu… Il y a toujours une partie plus littéraire que le cinéma ne peut pas exprimer. Mais par contre, l’image a souvent une portée poétique qui, si elle est bien maîtrisée, peut apporter quelque chose au texte. Bon, tout ceci pour dire que je serais effectivement très désireux de voir mes textes adaptés, à condition que ce ne soit pas fait stupidement. J’aimerais beaucoup confier mon texte à des gens comme Jeunet et Caro, par exemple. Je suis sûr qu’ils en feraient quelque chose de fabuleux. Ou encore Alex Proyas. J’ai vu récemment un film de lui, appelé « Dark City », j’ai été très surpris, je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi personnel, original et passionnant.
 
 

Au tout début, j’étais enthousiaste, j’allais sur des forums et je proposais des textes, des extraits… je me suis fait jeter par certains, on m’a accusé de faire de l’auto-promotion… en conséquence, j’ai revu ma position sur le fait de présenter des textes, à la lumière de ces réactions agressives, qui ne sont pas les seules puisque d'autres personnes m'ont même encouragé et félicité, mais bon.... Je crois qu'à tout le moins, si la démarche n'était pas, en ce qui me concerne, intéressée, elle dénotait, en revanche, d'une affreuse naïveté. Je m'imaginais que cela m'amènerait à connaître des gens, à avoir avec eux des rapports passionnants, des conversations intéressantes, des projets, que sais-je... Je me disais que, sur un forum où l'on trouvait des gens censés s'intéresser à la littérature, et même sur les autres forums d'ailleurs, cela ne pouvait qu'amener des échanges positifs... J'étais sans doute imprégné d'idées reçues sur Internet, le réseau où enfin, au lieu que les individus se croisent et se bousculent comme dans un métro aux heures de pointe, ils se stimulent mutuellement, s'encouragent, participent d'un élan créatif... Je me figurais que les gens fonctionnaient comme moi, c'est-à-dire qu'ils étaient avides de découvrir des auteurs nouveaux, de lire des extraits de romans, des nouvelles, etc. J'ai d'ailleurs été surpris de ne pas trouver plus de textes que cela sur ce forum. Et du reste, cela m'amène à me poser la question de l'utilité d'un forum littéraire : pour moi il est clair que la présentation de textes personnels devrait être une des fonctions essentielles d'un forum, en tous cas de celui qui, sur club-internet se nomme " Le café des lettres ", ou alors il faudrait le renommer " le café du commerce ", "la salle des tchatches perdues ", " le couloir des médisants ", " le salon des m'as-tu-vu ", est-ce que je sais... Bref, je suis tombé de haut lorsque j'ai été vertement éconduit, d’autant que je n’ai jamais joué au vantard. J'ai toujours limité au strict minimum la présentation de mes extraits. Une ou deux phrases, basta. Donc, ayant déposé des textes et savourant à l'avance le plaisir de lire des questions intéressantes, ou des commentaires surprenants, des liens vers d'autres auteurs, thématiques, axes de pensées ou autres, bref, jouissant par anticipation du plaisir du dialogue, de la rencontre, de l'interactivité dont on nous chante tant les louanges et qui est le  propre du Net, sa caractéristique fondamentale, j'ai été tellement déçu par certaines attaques que j'ai décidé, tout simplement, de ne plus rien proposer. J’ai constaté depuis, du reste, que cela n’empêche pas les contacts avec des gens enrichissants. En fait, en ce moment je reçois bien plus de courrier que je n’en envoie. Tiens, par exemple, il y a une stagiaire en déco qui m’a proposé de participer à mon court métrage. Je lui ai répondu que pour l’instant on attendait de voir quand serait fini le scénario, mais bon, c’est quand même sympathique, ce genre de rencontres. Et un type de Toulon, aussi, qui m’a dit qu’il aimerait beaucoup nous filer un coup de main. Voilà le côté positif du net. J’espère qu’on réussira à se réunir et à faire quelque chose ensemble. Moi au départ j’ai une approche très positive des choses, enthousiaste, dynamique. Ce qui m’intéresse, c’est de créer. Si au bout du compte il y a un résultat valable, je suis toujours partant.
 
 

Ceci n’empêche pas cela. Dans l’action, je suis positif. S’il faut entreprendre quelque chose, je fonce et je suis dynamique. Mais le contenu, lui, il y a de grandes chances qu’il soit assez négatif. Le pessimisme est une sorte de valeur sainte dans ma famille, cela fait partie de notre culture de clan. Je le suis bien moins que d’autres, et je m’arrange avec le temps. C’est sans doute de pouvoir balancer tous mes fantasmes négatifs dans des romans, ça m’a soulagé un peu, je suppose. La création, pour moi, comporte toujours une part plus ou moins importante de catharsis, de purge. On chasse à l’extérieur les mauvais démons, en quelque sorte. Bon, et puis c’est vrai aussi que notre monde a l’air plutôt mal barré, non ?
 
 

Bon, dès le premier volume, L’ombre du chat, je voulais un personnage en demi-teintes… Il y a d’un côté le héros, parfait, grand beau et fort, qui a toujours raison, qui casse la gueule au méchant et tombe toutes les nanas… je n’y crois pas et je déteste ce genre. Il y a par opposition l’antihéros, qui rate tout, qui s’embourbe continuellement. Ça fait rire cinq minutes mais on s’en lasse très vite et on n’y croit pas non plus. Je pense que dans la vie, rien n’est aussi simple, sauf pour ceux qui veulent croire que c’est simple et s’attribuent le rôle du héros. Ça fonctionne un certain temps, puis ils finissent par tomber de haut. Mais dans la réalité, je crois que les choses sont beaucoup plus difficiles à cerner. Les individus sont plus complexes – en tous cas, ceux dignes d’intérêt. Moi, le mariole du coin, taillé d’un bloc, qui a toujours réponse à tout et toujours le dernier mot, ça ne m’intéresse absolument pas. Je préfère de loin le type qui n’a l’air de rien, un peu dans son monde, un peu timide, mais qui renferme des trésors cachés… Les gens qui m’ont le plus épatés, dans la vie, étaient toujours ceux qu’on remarquait le moins au départ.  Je crois que les individus complexes m’intéressent parce que j’ai trop côtoyé, dans ma jeunesse, de gens primaires, sans nuances, bornés et stupides. Alors j’ai envie de créer des personnages plus fins, plus difficiles à cerner. Même Canavese avec son numéro de macho à la gomme, il m’intéresse justement parce que je montre à quel point lui-même n’en est pas dupe. C’est ça, la leçon à retenir de Canavese. Et on le voit particulièrement dans le troisième roman.
Voilà quelles étaient mes intentions au départ. Et puis, quand j’ai écrit Désordres, des gens m’ont dit que ça ressemblait au bouquin de Dantec, « Les racines du mal », que j’ai lu, du coup, par curiosité. J’ai trouvé ça mal écrit, incroyablement prétentieux, ennuyeux à mourir et le personnage principal correspond en tous points aux bellâtres d’opérette que je ne supporte pas. Alors, pour bien enfoncer le clou, dans Trajectoires terminales, j’ai insisté sur le côté hypocrite et salaud de Lançon, j’ai eu envie d’en rajouter. Je me suis amusé à faire en sorte qu’on soit partagé entre la pitié et le dégoût. Je voulais montrer les faiblesses de Lançon, qu’on le trouve sympathique globalement, mais que par moments on n’arrive pas à le comprendre et qu’on le désapprouve. Qu’il ressemble à tout sauf à un redresseur de torts. C’est comme ça dans la vie, il y a beaucoup plus de gris que de blanc ou de noir. Je veux bien reconnaître que dans mes romans le gris est assez foncé, ça c’est vrai. Mais il y a des gens qui apprécient, alors…. Pourquoi avoir consacré trois romans à Lançon ? En fait il y en a eu cinq, avec les deux qu’on n’a jamais publié. Je vais avoir du mal à écrire pour un autre personnage principal, à présent. Mais il faut savoir tourner la page.
 
 

Mes projets pour l'avenir ? j'ai commencé à écrire un roman mais comme toujours je ne sais jamais si je m'y tiendrai ou pas. J'espère en venir à bout... Il y a d'autres projets mais ils sont top secret pour le moment.




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