Lumière
des jours enfuis
avec Arthur C. Clarke (The Light of Other Days - 2000 - Editions du Rocher) +++ |
Arthur
C. Clarke et Stephen Baxter se sont associés pour écrire
ce roman basé sur l’existence d’un procédé permettant
d'observer n'importe quel point de l'espace et du temps : la Camver.
L’idée a déjà été utilisée dans des romans de SF, notamment dans La Rédemption de Christophe Colomb de Orson Scott Card, et surtout Les Yeux du temps de Bob Shaw, à qui ce roman est d’ailleurs dédié. Si le concept n’est donc pas nouveau, il n’en est pas moins fascinant et offre bien des possibilités que les deux auteurs se sont efforcés de traiter. La première partie raconte la naissance des Camvers. Né de l’imagination d’un magnat de l’industrie dans les années 2030, il s’agit d’abord d’un simple moyen de communication utilisant les propriétés physiques des « trous de ver » pour relier instantanément deux points de l’espace. Les explications techniques sont d’ailleurs plutôt convaincantes, du moins pour le profane, et rendent particulièrement crédible le reste du roman. Lorsque le système permet de transmettre l’image, la Camver devient d’abord un parfait moyen d’information permettant d’être immédiatement sur les lieux d’un événement, avant les concurrents et à moindres frais. Mais bien sûr, les possibilités d’une telle invention sont immenses et propices à toutes les dérives. Ainsi, les journalistes qui ont accès à cette technologie s’en servent aussi bien pour dénoncer des magouilles politiques ou financières que pour épier l’intimité des célébrités. Alors que l’utilisation des Camvers est encore restreinte à un petit nombre de personnes, le respect de la vie privée vole déjà complètement en éclats : à tout moment de sa vie, chacun peut désormais être observé à son insu. Bientôt, les Camvers se perfectionnent et deviennent de plus en plus accessibles au grand public. Elles permettent désormais d’atteindre des distances inouïes (et ainsi d’explorer de lointaines planètes), et même d’observer les images du passé. A une période où l’humanité ne croit plus en son avenir (un gigantesque astéroïde menace de détruire la Terre dans 500 ans), un grand nombre de gens se réfugient dans l’exploration de l’histoire. Ainsi, on peut enfin élucider bien des mystères historiques, on connaît enfin la vérité sur la naissance des religions, ce qui ne va pas sans provoquer d’importants remous. La Camver bouleverse inévitablement un grand nombre de certitudes. Les grands hommes du passé ne sont pas exempts de défauts que la mémoire collective a oubliés. La justice a commis des erreurs qui se révèlent d’autant plus tragiques lorsque chacun peut désormais les reconnaître. Certains se réfugient dans le passé en revivant inlassablement les meilleurs moments de leur vie ou ceux passé avec des êtres chers qui ont disparu. D’autres refusent d’être constamment épiés et essayent d’échapper à l’œil impitoyable des Camvers, mais tout le monde voit sa vie changée par cette invention. Lumière des jours enfuis est un roman de facture très classique rendu passionnant par l’exhaustivité de la description de la Camver, depuis sa création jusqu’à l’exploitation de ses innombrables possibilités et conséquences sur la société humaine. La fascination des personnages du roman pour les images de la Camver évoque bien sûr des échos de notre monde où l’image prend une place de plus en plus importante. Il est facile de se laisser envoûter par les évènements du passé, et les épisodes où les auteurs s’amusent à revisiter l’histoire à leur manière sont parmi les meilleurs du roman. On y apprend la véritable origine du sourire de la Joconde, on assiste à la vie de Jésus ou encore au dernier instant d’un homme préhistorique dont le corps sera retrouvé des siècles plus tard dans les glaces et étudié pas des paléoanthropologues… Autant de moments surprenants, amusants ou tragiques. Mais à trop explorer le passé, on en néglige de se tourner vers l’avenir. C’est la leçon que tireront les personnages du roman qui incarnent les diverses réactions possibles face à la Camver. Le récit se poursuit donc jusqu'à ce que l’humanité digère cette invention à la fois si utile et si dangereuse. Le lecteur peut alors refermer le livre ébloui par les talents d’Arthur C. Clarke et de Stephen Baxter qui se sont conjugués ici pour le meilleur. |
Titan
(Titan - 1997 - J'ai Lu Millénaires) +++ |
En
2004, alors que la sonde Cassini-Huygens approche de Saturne, la NASA vit
un épisode particulièrement difficile de son histoire avec
le crash d’une navette spatiale lors d’un atterrissage. Les données
envoyées par Cassini-Huygens laissent entrevoir la possibilité
d’une vie primordiale sur l’un des satellites de Saturne, Titan, mais elles
passent relativement inaperçues dans ce contexte dramatique. Cependant,
pour un groupe de passionnés, Titan devient le nouvel Eldorado et
malgré les restrictions budgétaires et la volonté
du gouvernement de mettre fin à l’exploration spatiale, ils réussissent
à monter un projet complètement fou : une mission humaine
vers Titan, un long voyage de plusieurs années sans certitude de
retour. Cinq astronautes s’engagent dans ce projet insensé. Pendant
leur long voyage, la Terre va subir bien des bouleversements et le voyage
vers Titan va prendre une dimension inattendue.
Stephen Baxter est l’auteur de Voyage,
un roman qui décrit de façon grandiose ce qu’aurait pu être
la conquête spatiale si la NASA, après la Lune, s’était
tournée vers la planète Mars. De prime abord Titan
ressemble beaucoup à Voyage. On assiste
aux préparatifs techniques de la mission, aux complexes tractations
politiques pour obtenir des fonds, etc. Mais ce n’est la que la première
partie du roman et l'intrigue de Titan va bien plus loin que n’allait
celle de Voyage. La où ce dernier se
contentait de décrire le voyage vers Mars et ses longs préparatifs,
Titan
suit également l’évolution géopolitique de la Terre
en l’absence des astronautes. Cette ambition est aussi la faiblesse du
roman. A vouloir trop en dire, Stephen Baxter sacrifie la crédibilité.
La préparation de la mission parait bien rapide, de même que
l’évolution géopolitique du monde que l’auteur n’arrive pas
à rendre vraisemblable. Heureusement, Baxter n’est jamais aussi
à l’aise que dans l’espace et c’est là que se situent les
morceaux de bravoure du roman.
Titan est un roman qui va très loin, un roman qui, à l’image de l’un de ses personnages, n’est jamais satisfait et cherche toujours à obtenir plus de réponses, à savoir pourquoi l’univers est là et pourquoi la vie existe. Stephen Baxter le conclut d’une façon magnifique et surprenante qui fait oublier les petites faiblesses d’une partie de son intrigue. Cela fait de Titan une oeuvre qui, si elle n’est pas la meilleure de son auteur, n’en est pas moins extrêmement passionnante. |